[singlepic id=661 w=1000 h=367 float=center] Sombre, Histoire
Sur la côte saoudienne de la mer Rouge, au sud de Djeddah, à quelques centaines de mètres du rivage, Ibrahim, Suleyman, Beraq et Muhammad vivent par groupe de deux sur al-Fahad et le Saudi Golden Arrow depuis plusieurs années. Après une première et longue carrière sur la mer du Nord et la Manche, ces ferries furent rachetés par un armateur Saoudien pour servir au transport des pèlerins musulmans et des travailleurs immigrés entre les grand ports de la mer Rouge : Suez, Sawakin, Masawa et Djeddah. Finalement, sans doute en raison d’avaries trop coûteuses à réparer, les navires furent ancrés loin de toute agglomération, dans une baie plus ou moins naturelle qui n’aura pas servi longtemps d’abri : les tempêtes auront bientôt eu raison de l’incurie des propriétaires. Insatisfaits des prix proposés par les ferrailleurs successifs, les propriétaires préfèrent visiblement parier sur une hypothétique envolée des cours de l’acier et payer, en attendant, deux marins soudanais faisant office de gardiens sur chacun des navires. Ce n’est pas tant qu’il y ait grand-chose à voler mais, plutôt, par crainte de voir ces immenses carcasses servir de cache à quelque contrebandier ou qu’un éventuel visiteur ne s’y blesse par accident. Voilà donc ces hommes payés à ne rien faire d’autre qu’attendre, interdits de descendre à terre car privés de permis de séjour (ils ont le statut de marins en transit), et qui s’habituent à vivre penchés, sur la marge d’un des plus riches pays au monde, au milieu des crapauds de rouille. Ils s’occupent comme ils peuvent, entre petites pêches lucratives (mérous, carangues et langoustines), descentes furtives le soir sur le rivage pour récolter ce que les nombreux campeurs abandonnent en repartant vers la ville (vêtements, téléphones, radios, tentes, matériel de pêche…), jeux de mathématiques pour Suleyman qui n’a pourtant pas connu d’autre école que celle des marins, lectures au hasard de journaux ou livres piochés sur le rivage, et discussions surtout, longues discussions, en attendant d’improbables visiteurs qu’ils feront monter à bord subrepticement, sous l’œil méfiant et néanmoins distrait des garde-côtes. Un employé de la compagnie leur apporte deux ou trois fois par semaine eau douce et nourriture, mais ils ne sont fournis en produits frais qu’à leur propre demande et la dépense est prélevée sur leur salaire. Le reste du temps ils dorment, ils attendent. Ils accepteraient cet emploi, qui servirait à éprouver leur endurance, contre la promesse d’une embauche d’ici quelques années au port de Djeddah ou sur les ferries actifs de la compagnie, à la maintenance semble-t-il. Loin de leurs familles, privés de femmes, ils n’ont le droit de descendre à terre qu’une fois tous les trois mois pendant 24h — qu’ils occupent essentiellement, d’après Suleyman, auprès de prostituées à Djeddah.
Trois ans plus tard, un ferry d’une autre compagnie, plus ancien encore, à été découpé ; un petit cargo pétrolier à également été conduit jusqu’au rivage et finissait d’y être mis en pièces. Mais al-Fahad et le Saudi Golden Arrow n’avaient toujours pas été vendus. Le premier était provisoirement vide, et Beraq occupait seul le second depuis six mois. Les autres “marins” étaient retournés au Soudan, au bout de trois ou quatre années passées “à bord”.
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